Comment Singapour projette de renforcer les compétences technologiques des jeunes enfants ? Comment la Cité Etat projette d’intégrer des robots dans l’enseignement préscolaire dans toutes les écoles maternelles du pays ? Plongée au cœur du projet « Playmaker », ou comment favoriser l’apprentissage actif des technologies de notre siècle.
« Cornet de Glace ! ». A l’évocation de ce nom et au vu de la photo brandie par une jeune maîtresse, un groupe d’enfant, à peine âgés de 6 ans, se retrouve en pleine exaltation. Calmement, elle dépose l’image et ramasse le robot abeille posé devant elle. Celui-ci dispose de cinq boutons sur le dessus : « vers l’avant », « à droite », « à gauche », « en arrière » et « marche ». La jeune enseignante presse quelques-uns d’entre eux, pose l’abeille et appuie sur le bouton « marche ». Le robot se faufile à travers un tapis décoré d’images, tourne à gauche et s’arrête sur le cornet de glace. Tous les enfants applaudissent.
Ce petit exercice, proposé aux élèves de maternelle, permet d’enseigner le vocabulaire de base, la logique, le séquençage et la navigation. Le robot abeille est l’un des quatre jouets technologiques mis à l’essai par l’éducation nationale avec des enfants de niveau préscolaire à Singapour. Il fait partie d’un vaste programme, intitulé « Playmaker » (maître du jeu) qui utilise les nouvelles technologies pour apprendre aux futurs générations les compétences qui leurs seront utiles tout au long de leur vie.
Les Abeilles animées
Le programme « Playmaker» a été lancé en septembre 2015 et a commencé par une phase expérimentale mené e dans une école maternelle par Temasek Polytechnic. Dix jouets High Tech ont été sélectionnés après une recherche au niveau international et une équipe de fonctionnaire en a retenu quatre pour intégré le programme.
« Combien de personnes peuvent affirmer que leur travail consiste à tester des jouets ? » se demande Adrian Lim, directeur de l’éducation à IDA. Son équipe a ainsi supervisé tout le projet : de la recherche des derniers outils technologiques, aux essais à Temasek, jusqu’au choix de la liste restreinte des robots qui seront testés dans une école maternelle.
« Aucun des jouets choisis ne nécessite d’écran d’ordinateur », souligne Lim. En effet, les dernières recherches montrent que les enfants ne devraient passer que 2 heures par jour devant un écran, y compris à la maison. Lim explique :
Pour le niveau préscolaire, nous voulions encourager l’interaction sociale et renforcer les compétences de communication, le faire passivement devant un écran, n’était pas la meilleure idée.
Actuellement, les robots sont testés par l’école maternelle de Yuhua PCF, dans le quartier de Jurong, réputé pour ses faibles coûts de scolarité, et qui a été préférée par IDA aux écoles aux frais de scolarité plus élevés. L’an prochain, un programme d’un budget de 1,5 M de $ permettra d’équiper 160 autres écoles maternelles du pays.
Lors de la phase de test, l’équipe du projet a veillé à ce que les enseignants puissent intégrer les jouets dans leur programme d’enseignement en combinant l’utilisation de robots complexes et d’outils pédagogiques plus simples, tout en encourageant les élèves à développer une nouvelle gamme de compétences.
Rencontre avec les robots
Pour préparer les enfants aux futures activités technologiques, l’école a utilisé un outil des plus simples et des plus familiers : le livre. Les enseignants ont lu de nombreuses histoires à propos de la technologie, y compris un des succès populaires en Asie : « l’enfant robot ». « A la lecture du livre, les enfants étaient déjà excité à l’évocation du robot » dit Lim. « Les leçons doivent représenter un moment spécial pour eux, plutôt qu’une simple activité dans leur journée ».
Le Robot Abeille (Beebot)
Crédit Photo : GovInsider
Selon Mary Herath, directrice de l’école où sont testés les robots, le « Beebot » permet d’améliorer les compétences linguistiques des enfants, de travailler sur les mathématiques et la logique dans une activité de groupe. Ainsi, son école utilise l’abeille dans 2 exercices : celui qui requiert la reconnaissance des mots et celui qui propose de résoudre des problèmes mathématiques.
L’école dispose de 2 tapis de jeu différents, le premier décoré avec des nombres, le second avec des images d’objets. Les enfants tirent des cartes dans un sac qui représentent soit un mot, soit une opération simple de maths (par exemple « 3+2 font… »). Ensuite ils doivent programmer le robot pour l’aider à se déplacer sur la bonne réponse.
Ce robot est le plus populaire auprès des enfants, selon la directrice « ils sont très heureux d’apprendre avec « BeeBot » qui ressemble à un de leur jouet. Les enfants apprennent beuacoup mieux par le jeu ». Avant cette expérience, le vocabulaire était enseigné en montrant des images aux enfants et en leur demandant de montrer le mot, ce qui était moins amusant et moins efficace.
Le robot Kibo
Crédit Photo : GovInsider
Kibo a été conçu par les chercheurs de l’université américaine Tufts, spécialisés dans l’étude sur les enfants et le développement humain. Le robot, fabriqué en bois, dipose de quatre roues et est équipé de capteurs pour détecter la lumière et le son et d’un scanner de code à barres. Les enfants choisissent ensemble les instructions inscrites sur de blocs de bois, celles-ci sont scannées et exécutées par le robot.
Selon Lim, cet exercice enseigne la logique et le séquençage, ce qui est très utile dans la programmation informatique. En outre, la recherche montre que quand un jeune enfant est formé pour comprendre des séquences logiques, il améliore sa compréhension de la lecture. De plus, les blocs d’instructions ont également fait leurs preuves pour aider les enfants à comprendre les idées mathématiques abstraites.
Cependant, ce robot étant l’un des outils les plus complexes, il est le moins utilisé par les enseignants. Les enfants de l’école Yuhua l’utilisent principalement en le faisant tourner autour de la classe à l’aide d’une télécommande.
Le Robot Dash
Crédit Photo : GovInsider
Le robot « Dash & Dot » n’a pas encore été pleinement déployé dans les activités d’apprentissage, explique Lim. Il dispose d’une suite complexe de capteurs, et nécessite des instructions pour être programmé par les enfants. L’équipe de Lim espère que les enfants puissent prendre en main ce robot, après avoir progressé avec le Kibo.
Pour Madame Nabilah, l’une des enseignantes utilisant ce robot, le jouet doit réaliser un parcours de plus en plus complexe, en évitant des obstacles. Il permet de travailler sur les habilités de motricité, la logique séquentielle grâce à la programmation du jouet.
Le circuit d’autocollants
Crédit Photo : GovInsider
Le quatrième jouet est le plus simple de tous, de loin, et le préféré de madame Mary, la directrice. « les enfants peuvent apprendre quelque chose de nouveau, et parce qu’ils auront besoin des compétences en science dans le cycle primaire, je pense qu’il est le meilleur », dit-elle.
Le jouet se compose de morceaux de ruban de cuivre, de piles de montres, et de voyants LED. L’équipe de Lim a développé des exercices pour les enfants qui utilisent la bande pour décorer des cartes de vœux, celles-ci s’allument quand une batterie est branchée.
Nous essayons de changer l’idée de ce que signifie la technologie dans l’enseignement préscolaire, d’évoluer d’une approche basée sur l’écran vers une approche centrée sur le manuel
Selon un ancien directeur de l’école : « les enfants d’âge préscolaire apprennent principalement par la participation active, l’exploration et l’expérimentation ». Le kit permet de mettre l’enfant au même niveau que l’enseignant puisqu’ils sont encouragés à créer de nouveaux outils avec un matériel d’un coût très faible.
Nous ne voulons pas que les enfants consomment des connaissances grâce à la technologie, nous voulons qu’ils créent des choses
Et après ?
À partir de janvier prochain, le système sera déployé dans 10% des écoles maternelles de Singapour. Ce programme sera divisé en deux phases, avec un suivi permanent des résultats. « Comme pour toute expérience scientifique, nous commençons avec l’observation », dit Lim. Les deux pilotes ont montré certaines réussites, tant dans l’engagement des élèves et la rétroaction des parents.
L’intégration dans 160 écoles permettra de vérifier ces acquis à grande échelle. Le Ministère de l’Education va mettre en place une étude importante pour juger de l’efficacité du programme, et de voir comment il pourrait être étendu à l’ensemble du pays. « Les 160 écoles ne sont que la partie visible de l’iceberg pour nous », dit-il. Le plus grand défi est de s’assurer que les enseignants comprennent comment intégrer les outils dans leurs plans d’apprentissage, indépendamment de la qualité des outils et de la stratégie globale.
Le Ministère va également organiser un symposium pour capitaliser les résultats obtenus, diffuser la logique du programme et les activités mises en place. Il sera également demandé aux enseignants de donner leurs commentaires et de partager leurs idées.
L’équipe de Lim, continuera également à rechercher de nouveaux jouets qui émergent sur le marché. Actuellement, tous les nouveaux robots viennent d’Amérique, dit-il, mais nous aimerions collaborer avec des entreprises locales. « Nous pensons qu’il y a un énorme marché pour cela », dit Lim. « Nous voulons inspirer d’autres à investir dans cette industrie ».
Les pays du monde entier cherchent à offrir aux jeunes enfants la possibilité d’acquérir les compétences dont ils auront besoin à l’ère numérique. Ce projet est une nouvelle approche et aborde les craintes récentes de l’OCDE sur l’enseignement « passif » à l’aide des tablettes. Le projet « Playmaker », donne la main aux enfants pour apprendre non seulement avec les produits, mais aussi sur les principes sous-jacents aux objets numériques.
Bien que le système utilise des robots, les enfants ne doivent pas être traités en tant que tel.
traduit de l’anglais. Article original : Inside Singapore’s plans for robots in pre-schools .